CLODO

Ça n’avait mis que deux mois à se faire. D’abord la sortie de prison, les assistantes sociales n’avaient rien prévu comme d’habitude, il n’avait pas le droit de se plaindre bien joli qu’il sorte du zonzon, et puis c’était le début de l’été il trouverait bien des solutions.

La solution ca a été le retour à l’apart dont les serrures avaient été changées parce que personne ne s’était soucié de faire régler les loyers qu’il aurait pourtant pu payer, avec ce qu’il touchait de l’allocation adulte handicapé pour ses vertiges.

Et les meubles aussi qui avaient disparu.
Et ses filles qui ne répondaient pas au téléphone.
Et ce besoin au ventre qui revenait comme des coups de rasoir dans ses tripes. L’alcool. Que faire d’autre.

Et alors ca a été le squat, et aussi les bords du Tarn dans les roseaux où il se faisait dévorer par les moustiques et d’autres bêtes plus ou moins identifiées qui se faufilaient partout pendant son sommeil.

Et Tony.

Tony et son regard perdu dans la cellule, Tony si peu fait pour la vie en prison, il n’osait même pas aller aux douches seul et il avait raison. Il l’avait protégé. La nuit il le regardait dormir et dans son sommeil, Tony était beau comme un homme libre.

Tony lui avait promis de l’aider, dehors, et c’était sûr il le ferait.

Alors un jour il était allé chez lui mais Tony n’était pas là, enfin, jamais là lorsqu’il venait, un peu comme ses filles qui elles aussi n’étaient pas là, en vacances peut être.

Et ces bières chaudes qu’il enfilait à la suite les unes des autres, les habits qui se salissaient, puis se lustraient puis s’élimaient et aussi se déchiraient lors des bagarres pour un coin de carton, les cheveux luisant de gras et la barbe hirsute. Et les vers qui commencèrent à venir sous son pantalon après qu’il ait déféqué dans ses hardes un jour de trop de bière et trop de malheur.

Et un jour enfin, Tony lui avait dit de passer boire le café. Enfin le bout du tunnel, les yeux doux de Tony, et la force du café dans sa gorge patinée par l’alcool, papoter comme au bon temps, en prison. Il méritait bien ça.

La porte était fermée et il avait attendu et Tony était descendu avec le café à la main, déjà froid, tiens tu peux le boire sur le trottoir. Ce n’était pas possible qu’il monte, mais bon Tony était content de le revoir. Fallait quand même plus qu’il revienne, les gens ils n’aiment pas voir les cloches trainer dans le quartier.

Il lui dit qu’il n’était pas là pour mendier. Enfin, pas de l’argent.

Il avait l’impression d’être comme dans la chanson en train de mendier pour avoir son regard, sa compassion, de nouveau cette fraternité bizarre de la prison.

Il n’a pas bu le café.

Il est parti avec cette boule de feu dans son ventre que toutes les bières n’ont pu éteindre. Et les heures qui passaient voyaient cette boule grossir jusqu’à envahir tout l’espace.

Cette boule de feu, il fallait qu’il la lui renvoie, il fallait que Tony comprenne que ce n’était pas comme cela que l’histoire devait se faire.

Dans la cellule où il se trouve aujourd’hui, il revit ce moment.

La main qui pousse doucement la porte du hall. Les bruits si rassurants de la vie normale qui s’écoule partout dans tous ces immeubles, et Tony quelque part par là, avec sa machine à café, et qui ne pense pas du tout à tout lui…

Il revoit sa main qui tient le briquet, et ces poubelles qui s’enflamment comme des bûchers. Il revoit sa peur. Il revoit ses pas hésitants, et les autres bières qu’il a bues ensuite.

Il revoit le psy qui a demandé à ce qu’il soit lavé, avant de pouvoir lui parler. Il lui avait dit qu’il relevait d’une hospitalisation en milieu spécialisé. Trop d’alcool, trop de saleté trop de misère trop de tout ce dont on n’a pas besoin, et absolument rien de ce qu’on voudrait avoir.

Son Avocat a cité un bouquin qu’il n’avait jamais lu avec un nom de drogué, Vernon Subutex, qui dit « Quand on se retrouve à côté des pestiférés, une fracture nette sépare votre monde de celui des épargnés. On ne veut ni charité, ni empathie. De chaque côté des frontières, les mots n\’ont plus le même sens.»

L\’Avocat a même dit : lorsqu’un psychiatre écrit qu’on doit être placé en milieu psychiatrique, la prison devrait être interdite.

Verdict : Huit mois.

De prison.

Fermes.

Il a emprunté le bouquin, du coup, et ce soir Vernon Subutex lui chuchote à l’oreille « La vie se joue souvent en deux manches : dans un premier temps, elle t\’endort en te faisant croire que tu gères, et sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce ».

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