Lorsque j’ai commencé à exercer cette profession, dans leur grande majorité, les gens – surtout les honnêtes gens ! – craignaient la justice, à l’image de leurs aïeux qui craignaient Dieu et les forces du mal.
Sans doute un tel sentiment de crainte n’est-il pas celui que cette institution devrait – et mériterait – d’inspirer, mais c’était toujours mieux que la défiance qu’elle inspire aujourd’hui.
Dans l’immense majorité des cas, en effet, les plaideurs me confient leur affaire d’une main tout à la fois tremblante et désabusée avec l’idée que le résultat sera dû au hasard ou bien le fruit d’obscures tractations ; et quand les pièces du dossier seront lues par le juge ce dont la plupart doutent fortement !
En bref les gens ne croient pas en la justice, pensent que les Lois sont mal faites et que les juges ne vont pas les écouter.
Pourquoi ?
Il existe à mon avis des causes objectives et subjectives :
La cause subjective relève de l’aquabonisme de l’époque où le sentiment est que tout se vaut – c’est à dire ne vaut rien – que rien n’est justifié ou légitime en termes d’institutions ou de valeurs, hors du consumérisme forcené dans lequel nous baignons.
Sur cela la Justice n’y peut rien…
Les causes objectives, elles, sont en revanche mesurables et ont assurément des remèdes pour peu que l’on s’y penche avec le désir de guérir le malade.
La première des causes de cet effondrement de la crédibilité de la justice est le vomissement continu des réformes.
Faute de faire LA réforme réputée impossible (la France étant supposée irréformable) les gouvernements de tous bords crachent DES réformes à jet continu.
En 2018, plus de 10 500 lois et 125 000 décrets !!
Une réforme par an en moyenne de la procédure pénale !!
Des refontes totales de pans entiers du droit civil, pour de nouvelles règles ni pires ni meilleures.
L’objet de ces réformes est de modifier des règles ou des procédures qui pour la plupart fonctionnaient auparavant
Le sens de ces réformes, leur « ESPRIT » aurait dit MONTESQUIEU, lequel est- ce ?
Résoudre cette insoluble équation consistant à assumer de plus en plus de taches avec de moins en moins de moyens :
- Alternatives aux poursuites fautes de magistrats en suffisance pour siéger en correctionnelle,
- Divorce par avocat, comme un contrat de travail sur un coin de table pour alléger le travail des juges aux affaires familiales,
- Pression maximale sur les tentatives amiables précontentieuses pour amener les gens à régler leurs salades entre eux,
- Complexification des procédures (d’appel en particulier) avec des sanctions permettant au juge de prononcer facilement des caducités et irrecevabilités diverses et variées plus rapides à faire que de juger l’affaire elle-même.
Nous sommes vraiment bien loin de l’esprit des rédacteurs du code civil dont l’un d’entre eux écrivait : « on ne touche à la Loi que la main tremblante ».
Sans doute ce dogme de la souveraineté de la Loi n’avait-il pas que des qualités mais il avait au moins celle – immense – de soucher la loi dans sa vocation de règle générale et impersonnelle, et son intangibilité l’inscrivait bientôt dans une TRADITION que les gens respectaient.
Personne ne peut respecter ce qui est devenu volatile, sensible à l’air du temps, aux caprices des Princes et aux circonstances.
La Seconde de ces causes tient à la manière de rendre la justice aujourd’hui, « l’art de juger » comme l’on disait.
Que voient les plaideurs de cet art ?
Voilà quelques exemples des mauvaises habitudes qui conduisent à la situation actuelle :
LA STATISTIQUE
Jacques reçoit une convocation devant le juge aux affaires familiales pour une augmentation de pension alimentaire.
Il décide de demander au juge de transférer la résidence de l’enfant chez lui et dépose sa demande avant l’audience.
L’avocat de son ex-femme demande un renvoi pour répondre à cette demande qui lui est accordé et dépose son argumentation en réponse, accompagnée d’un nombre important de nouvelles pièces, quelques jours avant la seconde audience.
On pourrait penser qu’un second renvoi serait logique pour permettre à Jacques de prendre connaissance des pièces et de l’argumentation de son ex et de demander à son avocat d’y répondre.
C’est compter sans la statistique !
Faut pas passer l’année mon ami, sinon ça ne va pas le faire !
Et voilà l’avocat de Jacques – votre serviteur – à s’agiter en tous sens et dépenser un temps et une énergie considérables pour tenter d’avoir ce renvoi sous le regard effaré du plaideur qui ne comprend pas pourquoi on ne lui laisse pas le temps de préparer son dossier
LE CAHIER DES HABITUDES
Paul passe au tribunal correctionnel et son avocat qui réside dans une autre ville demande la copie du dossier dans les règles habituelles chez lui : par la voie électronique
Le dossier n’arrive jamais et le jour de l’audience on lui explique que sa ville n’est pas le centre du monde et qu’il aurait dû se renseigner sur le cahier des habitudes (tout cela n’étant bien entendu rendu obligatoire par aucun texte ..) et tant pis il plaidera sans connaître son dossier !
En plus y’a la statistique (cf. habitude 1 !)
LE JEMENFOUTISME
La société SCROTCHI a une urgence : un de ses créanciers vient de lui bloquer tous ses comptes bancaires.
Il faut les faire débloquer en urgence, et ça tombe bien le juge de l’exécution est là pour ça … enfin, en théorie car dans la réalité, il doit créer une audience spéciale, bouleverser sa journée et prendre du retard sur ce qu’il faisait (cf. habitudes 1 et 2 !)
Alors sur une question vitale pour une entreprise avec 15 millions d’euros bloqués indûment, il va débarquer dix minutes en retard en prévenant que dans moins d’une demie heure il a un autre rendez-vous, et écouter distraitement les plaidoiries – précipitées – des avocats en pianotant sur son téléphone portable.
LE COPIER COLLER
Une décision de justice, pour un plaideur, se situe quelque part entre les tables de la Loi et les manuscrits fondateurs de l’ordre Jedi.
Dès lors, André appréciera d’être appelé Paul dans toute la décision.
Julie sera ravie de savoir que son adversaire doit enlever les gravats « dans le délai de jours à compter de la décision ».
Magalie découvrira qu’elle a changé de profession et de salaire.
Christian verra qu’il était marié à un homme, le prénom de sa femme (Camille) ayant perturbé l’institution judiciaire.
Jean constatera que la maison de Lucien était en réalité la sienne et vice versa.
On va vite et mal, on ne s’appesantit pas sur l’acte si important de juger, on fait comme on a vu les autres faire … (cf. habitudes 1, 2 et 3 !).
Mais si l’on s’est trompé sur des choses simples, pourquoi dès lors les plaideurs penseraient ils que les choses compliquées ont été bien appréhendées ?
À tout cela bien sûr s’ajoutent les méfaits des célèbres « simplifications » qui rendent en fait les choses plus complexes.
Dès lors les gens n’ont plus confiance et ils ont raison.
Finalement et pour résumer, les gens ne comprennent pas le sens des Lois et estiment que leurs juges ne sont pas assez attentifs.
Dans mon enfance il y avait une pub sur les biscuits au chocolat FINGERS de CADBURY qui étaient si bon si bon mais si courts ….et le petit ange de la pub priait d’une voie graseillante de poulbot enrhumé « Ils sont bons tes biscuits Monsieur Cadbury … tu peux pas les faire plus longs ? ».
À qui pourrions-nous faire cette supplique « Dis Monsieur elle est belle et grande ta Justice, tu ne peux pas la faire plus claire, attentive et bienveillante ? »