Désamour

Le gouvernement vient de réceptionner un énième rapport sur la profession d’avocat établi par Dominique PERBEN, ancien garde des sceaux devenu avocat, supposé apporter quelques solutions pour la sortir du marasme. Le texte a dû être consulté par les technocrates un peu comme l’on regarde les analyses médicales d’un grand malade.

Entre autres emplâtres, saignées et ventouses diverses, est évoqué la dégradation des rapports entre magistrats et avocats.

Tarte à la crème de la réflexion judiciaire, ce désamour, réel et ancien est aussi étrange que stérile, les deux professions étant chacune une des deux faces inamovibles et inséparables de l’idée même de justice.

Et pourtant grand dieu, ils ne nous aiment pas et je le confesse, c’est puissamment réciproque.

Les grands discours ne remplaceront jamais la force de l’exemple, et ainsi, voilà deux aventures vécues qui montrent à quel point la justice est souvent rendue dans des conditions de subjectivité frisant la partialité, qui m’étonnent toujours après tant d’années à porter la robe.

Bien sûr, on me reprochera de généraliser, d’être excessif et moi-même totalement partial et injuste, et je dirai que, bien sûr, j’ai rencontré des juges qui, en plus d’être fins juristes, étaient courtois, d’humeur égale, cultivés et respectueux de cette autre face de l’idéal qu’ils servaient, oui bien sûr et heureusement, et ceux là partagent assurément le désenchantement qui me fait écrire ces lignes.

Cour d’Appel de GRENOBLE, Chambre Sociale.

Lorsque cette affaire a été fixée en plaidoirie, le débat a eu lieu au cabinet sur le point de savoir s’il fallait se déplacer pour plaider.

L’affaire n’était pas d’une complexité extrême mais devant la Chambre sociale, la procédure est orale et même si les parties déposent leur argumentation par écrit, ce que l’on appelle les « conclusions », elles sont censées les reprendre oralement (contrairement aux procédures écrites où seules les conclusions sont prises en compte).

Il faut donc prévoir un déplacement et ce n’est pas anodin car l’audience étant à neuf heures il faut partir la veille.

Départ pour TOULOUSE en début d’après-midi, l’avion jusqu’à LYON, location d’une voiture pour rallier GRENOBLE à la nuit tombée, juste le temps de manger un morceau dans le seul resto encore ouvert et dormir dans un hôtel craignos réservé sur un site où les étoiles avaient été quelque peu bousculées.

On passera sur tous les milliers d’inconvénients et d’emmerdements minuscules qui peuvent rythmer un tel périple, et qui mis bout à bout, construisent une pure journée atroce.

Le lendemain enfin, à 9h00 pétantes, en place à la Cour, motivé à bloc, vu la longueur du déplacement.

Après le rituel retard que toutes les audiences ont du moment que l’on est soi-même à l’heure, voilà la Cour qui entre, prend place, et mauvaise surprise, une affaire de renvoi de cassation est prise en tête, longuement plaidée.

Ensuite, et de façon inexplicable, deux autres affaires sont appelées par un greffier manifestement autiste refusant d’admettre que les avocats dits « de l’extérieur » passent en tête.

Arrive la fin de la matinée, et là, fatigue due à une mauvaise nuit, crise d’hypoglycémie, hâte de l’apéro, mauvaise humeur ou profond mépris pour autrui, la question reste entière, le magistrat prend la chemise du dossier d’une main prudente et écœurée comme si elle était souillée d’excréments et profère « la cour a lu les conclusions et compris le dossier, si vous voulez vraiment plaider, c’est cinq minutes ».

Ayant ainsi énoncé, le Juge adopte cet ineffable visage de marbre, bouche dubitative et regard comme perdu dans un ailleurs, en bref aveugle, et qui veut juste dire : casse-toi je n’en ai absolument rien à faire de ce que tu racontes.

Soucieux de ne pas contrarier celui qui va trancher le litige, c’est avec quelques mots totalement inutiles que je termine l’expédition.

Cour d’Appel de SAINT DENIS, Chambre Sociale,

Nous sommes après la guerre de 2020, celle de la COVID.

Les exigences réelles ou supposées de distanciation sociale -si TF1 et BFM le disent cela doit être vrai – poussent les avocats à l’extérieur des tribunaux.

Des gens sont incarcérés sans débats, des dossiers retenus ou renvoyés dans ces conditions qui frisent la lettre de cachet, et surtout, les plaidoiries se font par Visio-conférence – se mettre dans l’ambiance dans ces conditions est un beau défi impossible ! – ou comme avant, mais en suffocant sous son masque, et en étant de toutes les façons, largement inaudible, devant la barrière de verre dressée devant le bureau du juge, lui-même masqué, en vertu du principe célèbre associant ceintures et bretelles.

Cette audience devant la Chambre sociale est une formalité.

Je n’ai pas de dossier à déposer car je ne m’appuie que sur les pièces adverses et la Cour a déjà mes conclusions – et les a assurément lues dixit Grenoble ! – en sorte que même si la procédure est orale, je suppose que le magistrat sera ravi que je lui épargne l’effrayant visage que le masque me donne et les quelques borborygmes et postillons mal venus que la toux qui me prendra en prononçant les deux phrases de ma plaidoirie provoqueront.

J’envoie donc une correspondance polie et respectueuse à la Cour en indiquant que compte tenu du contexte sanitaire et de ce que je n’ai pas de pièces à déposer, j’en reste à mes conclusions.

Naturellement, scandale, opprobre sur moi, enfer et damnation :

Comment ai-je cru devoir renoncer à ma plaidoirie – sachant bien que si je m’étais risqué à mettre les pieds à la Cour, j’aurais eu droit au, à présent célèbre, « la Cour le sait Maître, faites vite », sachant que la procédure est orale ?

Les sanctions vont pleuvoir assurément et je sais par oui dire que je devrais aller battre ma coulpe auprès du magistrat, c’est-à-dire juste pour la beauté du geste, un nouveau déplacement à la Cour, masque, visières et toutim, pour m’excuser.

M’excuser de ne pas avoir fait un déplacement qui aurait juste servi pour m’entendre dire que mon déplacement était inutile.

Voila.

Et ils voudraient être aimés ? !

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