BÊTE ET MÉCHANT

Un Samedi d’Août

Déjà, la chaleur coule sur la ville comme un liquide malgré l’heure matinale. Je viens d’être appelé par le Commissariat, deux mecs ont cambriolé un appartement puis mis le feu à un autre. Garde à vue.

Je retrouve la petite salle réservée aux entretiens entre les gardés à vue et leurs avocats, sa propreté carcérale, et aussi la brulure glacée de son odeur.

A l’instant où je vois K. entrer, avec ses yeux de chien battu, son improbable short de footing et son marcel trop ample, je sais que l’aime bien quoi qu’il ait fait.

Les chiens perdus sans collier, je le reconnais, sont vite pour moi.

Interpellé ivre dans la nuit, ses droits ne lui ont été notifiés qu’au matin et il commence déjà à puer.

Avec cette chaleur, c’est normal.

Oui en effet il a piqué l’ordinateur mais n’a pas mis le feu.

Une intuition me dit que les flics sont montés un peu léger dans cette affaire et je lui conseille de nier tout en bloc, ce qu’il accepte avec enthousiasme, mais cela ne l’empêche pas, interrogé dix minutes plus tard, d’avouer le cambriolage.

Soupir.

Son compère fait les déclarations inverses : On n’a rien volé mais on a mis le feu.

Je comprends que mon samedi est mort. En effet, lorsque l’enquête prend cette tournure, les flics doivent multiplier les auditions pour que le gardé à vue entre en contradiction et finisse par lâcher le morceau.

De fait lorsqu’il sera interrogé pour la énième fois dans la nuit de samedi à dimanche, en ma présence constante et attentive – mais cette fois, j’ai essayé avant d’entrer au commissariat de masquer mon haleine signée « Cote de Blaye » par un Montechristo – il reconnaitra avoir donné les allumettes mais pas de les avoir grattées.

Plus tard, l’odeur de crasse et de transpiration me suivra jusque dans mon lit.

 

Dimanche matin

Le dimanche matin, la chaleur intensifie ses attaques invisibles.

La matinée va être consacrée à la présentation devant le procureur, puis à l’audience bidon devant le Juge des Libertés et de la Détention qui va faire semblant de réfléchir sur le point de savoir s’il place ou non la personne présentée devant lui en détention avant sa comparution devant le Tribunal mardi, sachant que les papiers sont déjà prêts dans l’ordi.

Je passe – car j’en ai déjà parlé plusieurs fois – sur cette inexplicable et insupportable rupture de l’espace-temps qui fait que, alors que la présentation devant le Procureur est fixée à 10 heures et l’audience du mal nommé Juge des Libertés à 11 heures, le procureur sera enfin prêt à recevoir K. vers 11 heures 30 et que je ne plaiderai devant le Juge des Libertés que vers 13 heures…

K. a une activité professionnelle et un domicile mais hop, détention comme d’habitude, même si c’est pour deux jours.

A ce stade, le short de footing est vraiment immonde, le marcel tient debout et l’odeur de transpiration vous sort de la pièce.

Je donne mes recommandations à K. aux yeux de chien battu : Surtout se faire porter des fringues propres pour le Tribunal mardi et envoyer quelqu’un au cabinet me porter son contrat, son bail, bulletins de salaire et toutim pour tenter d’amadouer la lourde main de la Justice.

Comment je fais ? Me dit-il.

Je lui dis de me donner les coordonnés de la personne à prévenir.

Personne :

Si je dis ça à ma mère elle meurt.

Mon père est mort.

Pas d’amis

Pas de copine.

C’est ça. Un chien.

Battu.

Je jette un coup d’œil sur mon portable. Week-end foutu.

Allez, foutu pour foutu je demande aux flics la fouille du chien battu, récupère les clefs de son appart et lui dit que je m’occupe de tout.

Et me voila dans la chaleur liquide devant un immeuble connu pour héberger les fatigués de l’hôpital psychiatrique d’à côté testant la vraie vie, enfermés de l’extérieur dans leur appart, les cassos de la ville, dealers et autres, entrant précautionneusement dans l’appart repoussant de crasse et de désordre, un jean deux chemises dans un sac à dos, les papiers coincés entre le lit et le clic clac.

16 heures, repos enfin jusqu’à demain, si je ne suis pas encore appelé pour une autre garde à vue.

 

Lundi

C’est tout fier que je me présente à la maison d’arrêt avec mon sac à dos, sonnette, judas, caméra, une porte, deux portes, trois portes, « Avocat, je viens porter des habits propres à mon client pour l’audience de demain ».

La requête perturbe le maton habitué à voir des Avocats se borner à demander à visiter leurs clients. Non je ne veux pas le voir, juste lui donner des habits propres, et je songe in petto au short de footing et au marcel qui doivent être devenus quasi extraterrestres.

Faut aller voir le sous-chef qui va voir le chef qui va voir la dirlo qui aboie du fond d’un bureau que non, « que la famille ».

Que la famille ? Il n’y a pas de famille !

Re valse. Maton, sous-chef, chef, dirlo, et toujours non, l’autistique dirlo confirme et signe « que la famille ».

En vertu de quel texte ? Quel règlement ?

Ils ne savent pas, juste ils répètent en boucle « que la famille »

Donc lorsqu’il n’y a pas de famille il n’y a pas de solution, tu pérégrine en taule à poil ou avec tes vêtements de garde à vue ?

Le maton me rassure : on va lui donner un survêtement carcéral.

C’est vrai, ça serait tellement mieux pour lui de comparaître en jean et en chemise blanche, non non non le survêtement carcéral, c’est bien plus amusant. Bien chaud. Comme ça il arrivera au Tribunal en puant presque autant qu’en garde à vue, trop marrant.

Enfoirés va.

Retour en haut